C’est à la suite de leurs discussions avec le European Center for Democracy and Human Rights (ECDHR) à Bruxelles, que le député Hugues Bayet et le sénateur Bert Anciaux ont soumis les 18 et 24 novembre derniers une question concernant les violations des droits humains à Bahreïn à la vice-Première Ministre et Ministre des Affaires Étrangères, des Affaires européennes et du Commerce extérieur, et des Institutions culturelles fédérales de Belgique, Madame Sophie Wilmès. Dans sa lettre, Hugues Bayet, député du parti socialiste et ancien membre du Parlement Européen, relevait “les actes de torture, les détentions arbitraires et les exécutions” systématiques à Bahreïn, dénoncés par “de nombreuses ONG (…) alors même qu’il [Bahreïn] est partie à différents traités internationaux de protection des droits humains.” Rappelant les quatre condamnations à mort ordonnées par la Cour de cassation de Bahreïn à l’été 2020, il a également soulevé le cas des douze hommes actuellement dans le couloir de la mort, ayant épuisé tous les recours judiciaires à leur disposition. Il n’a pas manqué de préciser que chacun de ces hommes a été condamné sur la base d’aveux obtenus sous la torture et que leur seul chance était désormais de voir leur peine commuée par le roi de Bahreïn, Hamad bin Isa Al Khalifa. Soulignant le fait qu’il avait également questionné le gouvernement le 8 janvier 2020 à ce sujet, le député a formulé les demandes suivantes:
- Disposez-vous de nouvelles informations au sujet de la situation des droits de l’homme à Bahreïn?
- Les leviers belges à ce sujet passent, selon la réponse donnée par votre prédécesseur, notamment par l’ambassade de notre pays au Koweït. Quelles sont les informations qui vous reviennent de ce poste diplomatique?
- Qu’en est-il de la position de la Belgique au niveau des instances onusiennes à ce sujet? Ne serait-il pas là le forum idéal pour espérer améliorer la situation des droits de l’homme à Bahreïn?
Pour sa part, le Sénateur Bert Anciaux a relevé l’inquiétude que créent les “graves violations avérées des droits de l’homme à l’encontre des défenseurs de ces droits et des militants politiques présents dans le pays.” Il a tenu à rappeler que pour combattre la culture d’impunité à Bahreïn, le ECDHR et le Parlement belge avaient déjà lutté ensemble, menant à l’adoption Sénat de la résolution n°7 142 relative aux droits de l’homme à Bahreïn en Février 2020. Cette résolution marquait clairement l’engagement de la Belgique dans la surveillance et la sanction des violations perpétrées par le gouvernement bahreïnien. Cette résolution, faisait suite à une reconnaissance du Sénat Belge des effets qu’avait eue la pression internationale lorsque le gouvernement de l’archipel avait reporté les décisions d’exécutions de Mohammed Ramadhan et Husain Moosa de Novembre 2019 au soir de Noël. Il a cependant insisté sur le fait que ces violations, notamment à l’égard des prisonniers du royaume, s’étaient gravement accrues au cours de la pandémie Covid-19. De fait, les individus incarcérés dans les prisons de l’archipel – pour un grand nombre, suite à leur opposition au régime ou à leur simple exercice de la liberté d’expression – ont non seulement le plus souvent été torturés et maltraités mais n’obtiennent qu’un accès limité sinon inexistant aux soins médicaux dont ils ont besoin. Il a aussi souligné que les douze hommes faisant actuellement face à risque d’exécution imminent ont tous été condamnés sur la base d’une législation anti-terroriste de large et vague portée, en majorité lors de procès en masse et sans accès à une “véritable défense juridique,” autrement dit jugés au travers de procès non-équitables. Demandant à ce que la résolution n°7 142 de Février 2020 “soit aussi transposée en actes politiques et que le gouvernement belge insiste auprès des autorités de Bahreïn afin que ces prisonniers politiques soient libérés pour des raisons humanitaires,” M. Bert Anciaux a interrogé Madame Sophie Wilmès sur les questions suivantes:
- Êtes-vous disposée à avoir un entretien avec votre homologue chargé des Affaires étrangères et avec l’ambassadeur de Bahreïn afin d’exprimer notre vive préoccupation quant au respect des droits de l’homme à Bahreïn?
- Ferez-vous le nécessaire pour mettre cette question sur le tapis lors d’un Conseil européen des ministres des Affaires étrangères, dans le but de faire pression sur le gouvernement de Bahreïn avec vos collègues?
- Allez-vous prier, par tous les moyens possibles, le gouvernement de Bahreïn de respecter les droits des prisonniers politiques dans le pays au cours de cette crise sanitaire?
- Comptez-vous accéder à ma demande d’insister par tous les moyens auprès du régime de Bahreïn pour qu’il libère ces prisonniers politiques?
Bien qu’une réponse soit toujours attendue pour la question du Sénateur Anciaux, Madame Sophie Wilmès, Vice-première ministre et ministre des Affaires étrangères a déjà fait part de sa réponse au député Hugues Bayet. Elle y affirme s’informer régulièrement sur la situation des droits humains à Bahreïn et d’en soulever la problématique avec les autorités de Bahreïn. Elle y rappelle également la ferme opposition de la Belgique à la peine de mort, et son positionement pour l’abolition universelle de celle-ci en accord avec les orientations de l’Union Européenne.
Indiquant que la Belgique a soulevé la question des droits humains lors de l’examen périodique universel de Bahreïn, Madame Sophie Wilmès a souligné que la Belgique avait insisté sur la nécessité pour le Royaume d’implémenter les recommandations formulées par la Commission d’Enquête Indépendante de Bahreïn (BICI) suite aux évènements de 2011. Vingt-six recommandations visant à contraindre le gouvernement de Bahreïn à cesser ses multiples violations des droits humains, mais dont le rapport a démontré que, contrairement à ce qui est publiquement affirmé, le gouvernement n’en a véritablement implémenté que deux. Madame Sophie Wilmès a également fait référence à la reconnaissance alors affichée par Bahreïn de l’instrument de protection aux droits humains qu’est le Protocole facultatif se rapportant à la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. Bahreïn a ratifié la Convention contre la Torture, et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants en 1998. Pourtant, cela n’a pas empêché le gouvernement d’en violer les principes à multiple reprises et de manière intensifiée depuis les soulèvements de 2011, torturant des citoyens soupçonnés d’opposition au régime, exerçant souvent leur simple droit à la liberté d’expression ou d’association – voire des mineurs tels qu’Ali Isa Abdulla Yusuf Jasim n’ayant aucun lien avec les activités politiques du royaume.
La Vice-Première Ministre s’est également concentrée sur l’activité belge au Conseil des droits de l’homme des Nations Unies, où elle affirme que le pays a relevé les violations de Bahreïn au droit à un procès équitable et le danger qu’il nourrit par sa politisation du système judiciaire. Elle s’est également attardée sur le dialogue annuel de l’Union Européenne avec Bahreïn, cette année reporté suite au décès de l’ancien premier ministre bahreïni, qui avait en 2019 permis de soulever les questions de détentions et représailles arbitraires. Dialogue suite auquel une délégation de l’Union Européenne avait pu assister à un procès bahreïni pour la première fois et faciliter la libération de Nabeel Rajab, figure de l’opposition politique dans le royaume qui avait suscité une forte attention internationale. Elle affirme que cela avait alors été en partie permis grâce à l’intervention du Représentant Spécial de l’UE pour les droits de l’homme.
Concluant sa réponse, Sophie Wilmès a réitéré l’engagement de la Belgique contre les violations des droits humains, les sentences à la peine de mort contraignant la possibilité de recours judiciaire pour ses victimes, les détentions arbitraires, liées à l’exercice de la liberté d’expression, pour le droit à un procès équitable et contre la torture et la culture de l’impunité dont la perpétuation profite actuellement aux autorités de Bahreïn. Elle a rappelé que cette position Belge est renforcée au sein de l’Union Européenne, qui “encourage” Bahreïn à respecter toutes ses obligations nationales et internationales liées aux droits humains et les recommandations qui lui ont été formulées lors de son examen périodique universel.
Lorsque M. le député Hugues Bayet avait interrogé le Ministère des Affaires étrangères Belge sur les mêmes thématiques début 2020, il décrivait la répression intensifiée que le gouvernement de Bahreïn exerce sur sa population depuis les soulèvements populaires de 2011. Philippe Goffin, alors ministre des Affaires étrangères, avait également assuré que la Belgique suivait de près la situation des droits humains à Bahreïn et qu’elle ne manquait pas d’en soulever la question auprès du gouvernement bahreïni lors de leurs échanges bilatéraux, insistant lui aussi sur le dialogue qui avait eu lieu en Novembre 2019. La réponse de Sophie Wilmès fait écho à plusieurs aspects de la réponse que Philippe Goffin avait donné, lui qui avait conclu sa réponse en rappelant qu’il est dans l’intérêt propre de Bahreïn de respecter les droits humains, si le royaume tient à assurer sa stabilité sur le long terme. L’Union Européenne, qui a légiféré son propre “Magnitsky Act” en Décembre 2020, a désormais l’occasion de sanctionner par le biais de mesures tangibles (gels d’actifs, interdiction de voyages au sein de l’Union) le royaume de Bahreïn pour les violations systématiques des droits humains dont il est responsable. Si la Belgique compte poursuivre la mise en action de son discours sur la sauvegarde des droits humains à Bahreïn, ADHRB espère qu’elle portera avec force la première imposition de sanctions sur des pays comme Bahreïn au cours du premier semestre de 2021.